Introduction
Le chemin qui nous a conduits à une statistique suisse du commerce extérieur globale et homogène fut long et semé d’embûches. Nous renvoyons les personnes désireuses d’en savoir plus sur les différents aspects et étapes de ce processus, par ailleurs toujours en cours, à deux textes d’Hermann Bodenmann parus dans le Journal de statistique et Revue économique suisse ainsi qu’à un long article signé Alfred Bosshardt et Alfred Nydegger qui a paru dans l’édition anniversaire de cette même revue. Le troisième chapitre de l’introduction à la statistique économique et sociale de la Suisse, publiée en 1990 par Peter Bohley et Armin Jans, offre une image claire et fiable des changements d’ordre conceptuel, organisationnel et juridique intervenus au cours des cent dernières années dans la statistique du commerce extérieur, de l’origine des données primaires et des domaines qui composent aujourd’hui la statistique du commerce extérieur. On regrette pour l’heure l’absence d’une monographie historique et statistique du commerce extérieur de la Suisse, même si le rôle joué par ce dernier dans la croissance de l’économie suisse au cours des 19e et 20e siècles n’est pas encore clairement établi.
Statistique des marchandises, de 1851 à 1913
Les premières notes écrites concernant les résultats des dédouanements datent des années 1840 et du début des années 1850 déjà. L’historienne Béatrice Veyrassat a récemment jeté un regard critique sur ces statistiques peu connues. Les tableaux qu’elle en a tirés étant accessibles à tous, il ne nous a pas paru nécessaire de les imprimer une nouvelle fois dans ce chapitre.
Nous disposons pour les années 1851 à 1884 d’enregistrements annuels sur le volume des marchandises échangées. On retenait pour le commerce du bétail et pour l’exportation de montres non pas le poids, mais le nombre de pièces, et on tenait dans le cas du commerce du bois une statistique portant sur la valeur plutôt que sur les quantités du bois échangé. Le fait qu’on n’ait pas déduit du poids de ces marchandises celui du matériel d’emballage (tare) pose un problème plus important encore à notre réflexion historique. Pier Mattia Ferrari et Michael Bernegger ont calculé après coup le poids net d’une partie des marchandises figurant dans la statistique du commerce extérieur en adoptant un barème constant tout au long de la période considérée mais qui pouvait varier selon le genre de marchandise et équivaloir à zéro dans certains cas. Pour reconstituer les échanges de métaux entre la Suisse et l’étranger, Jutta Schwarz a dû harmoniser les données des sources qu’elle a consultées pour les années 1850 à 1884 avec celles de la statistique du commerce extérieur concernant la période 1885–1914. Hans Brugger et Thomas Steiger ont produit les séries longues du commerce exté-rieur des produits laitiers de 1851 à 1913. Enfin, il n’a pas été nécessaire de réviser les données du commerce du bétail, les autorités douanières ayant continué à partir de 1884 de relever le nombre de têtes au lieu du poids. Nous sommes donc en mesure de présenter une statistique portant sur les quantités échangées d’un nombre relativement élevé de produits, qui s’étend de 1851 à 1959.
Statistique des marchandises, de 1892 à 1959
L’ordonnance du 10 octobre 1884 concernant la statistique du commerce de marchandises entre la Suisse et l’étranger a entraîné une rapide amélioration de la statistique suisse du commerce extérieur, les douaniers étant dès lors tenus d’enregistrer la quantité, la valeur et, là où cela s’avérait nécessaire, le poids net des produits échangés. Mais la statistique présentait encore des points faibles dans la seconde moitié des années 1880 et au début des années 1890. Il semble que les autorités douanières aient commis un certain nombre d’erreurs notables durant la première année de cette période (1885) lors de l’enregistrement des marchandises en provenance ou à destination de l’étranger. Abstraction faite de cette «année d’essai» (Bodenmann, 1935), le commerce de biens a été enregistré avec beaucoup plus de soin au cours des années 1886 à 1891. Il ne faut cependant pas perdre de vue que la déclaration du pays de production ou d’utilisation n’a été rendue obligatoire qu’en 1892. Il devint alors possible de vérifier dans quelle mesure les pays de provenance ou de destination des marchandises étaient identiques avec les pays de production ou d’utilisation. Lorsque les autorités douanières se penchèrent sur la statistique du commerce extérieur des années précédentes dans le but de contrôler ce point, elles constatèrent qu’en 1890 et en 1891, les chiffres du commerce avec la France et la Belgique notamment étaient surestimés, alors que ceux des échanges avec la Grande-Bretagne et avec les pays d’outre-mer étaient inférieurs aux résultats réels (cf. l’introduction de l’annexe concernant le rapport annuel de 1901). C’est pourquoi nous avons choisi 1892 comme point de départ de la statistique des biens et des pays, confirmant l’avis de Bodenmann, qui considère 1891 comme marquant une rupture dans la statistique suisse du commerce.
En 1906, la statistique suisse du commerce extérieur subit de nouveaux changements. Le répertoire des biens, déjà soumis à une révision totale en 1892, fut profondément modifié et élargi, et plusieurs positions vinrent compléter le répertoire des pays. Nous sommes cependant convaincus que les changements intervenus n’ont que peu affecté la comparabilité entre les valeurs précédant cette année-là et celles qui l’ont suivie.
Statistique des marchandises, de 1960 à 1987/92
Il n’est possible de représenter en un seul tableau allant de 1892 à aujourd’hui ni la statistique des marchandises, ni celle des pays. En ce qui concerne la statistique des marchandises, il s’agit de faire une distinction stricte entre les années allant de 1892 à 1959 et celles s’étendant entre 1960 et 1987. Le passage de 1959 à 1960 constitue une rupture dans ce siècle en raison de l’introduction des tarifs douaniers révisés auxquels le commerce de la Suisse avec l’étranger (importations et exportations) a été soumis à partir du 1er janvier 1960. Cette rupture est allée de pair avec l’introduction d’une nouvelle classification des biens. Cela signifie que la composition de la plupart des marchandises et groupes de marchandises mentionnés dans les rapports annuels de l’Administration fédérale des douanes pour les années 1960 à 1987 ne correspond pas exactement aux positions utilisées au cours des décennies précédentes. Il est tout aussi impossible de comparer les données de la statistique des échanges de biens des périodes 1960 à 1987 et 1988 à 1992. En effet, la Suisse a adhéré le 1er janvier 1988 à la Convention internationale sur le système harmonisé de désignation et de codification des marchandises, qui vise une simplification des formalités dans le domaine des échanges commerciaux. Ce nouveau schéma de classification n’était en usage que depuis huit ans lorsque nous avons clos la rédaction du présent ouvrage; c’est pourquoi nous avons décidé de nous arrêter à l’année 1987 pour les tableaux concernant l’importation et l’exportation de marchandises importantes.
Bien que nous soyons en mesure, grâce aux rapports détaillés de l’Administration fédérale des douanes, de retrouver aussi bien la valeur que les quantités des marchandises échangées avec l’étranger au cours de la période 1892–1959, notre tentative de déterminer de manière précise le volume des échanges de marchandises pour les années 60, 70 et 80 a été vouée à l’échec: si les rapports annuels concernant la statistique du commerce extérieur rédigés à partir de 1960 mentionnaient toujours le poids de l’ensemble des biens importés, ils ne le faisaient plus que pour une partie des biens exportés. Nous avons donc renoncé à étendre la statistique du volume des exportations au-delà de l’année 1959. Nous avons toutefois jugé bon de réserver un tableau à l’industrie des machines, dans lequel nous montrons l’évolution du volume des échanges entre 1960 et 1987.
De nombreuses séries de 1960 à 1966 présentent des lacunes regrettables qui résultent d’une redéfinition, vers la fin des années 60, d’une partie des agrégats constitués à partir des positions individuelles du répertoire des marchandises. Monsieur H. Baumann, de la Direction générale des douanes, s’est efforcé à notre demande de reconstituer des séries uniformes pour différentes marchandises en reprenant les positions mentionnées dans les rapports originaux des années 1960 à 1966 et en les recomposant en de nouveaux agrégats conformes à ceux du schéma de classification en vigueur depuis 1967.
Depuis 1960, on trouve dans les publications annuelles de la Direction générale des douanes des tableaux dans lesquels on distingue, pour un nombre relativement important de groupes de produits importés, entre le genre et la destination des marchandises selon la valeur et le volume. Il y a peu, la Direction générale des douanes a réévalué les échanges commerciaux avec l’étranger calculés d’après ces catégories en tenant compte des exportations réalisées dans les années 1970 à 1987 d’après le schéma de classification du 1er janvier 1988. Les résultats de cette évaluation font eux aussi partie de la présente publication.
Statistique des pays, de 1892 à 1992
La rupture qui a de loin le plus marqué la statistique des pays est celle qui s’est produite entre 1919 et 1920. L’issue de la Première Guerre mondiale et l’entrée en vigueur des dispositions du Traité de Versailles ont bouleversé les frontières politiques de très nombreux pays à un point tel (éclatement de la monarchie austro-hongroise, chute de l’Empire ottoman, restauration d’une Pologne située sur des territoires que se disputaient auparavant l’Allemagne, la Russie et l’Autriche-Hongrie, retour de l’Alsace sous la souveraineté française, etc.) que nous avons été contraints de séparer nos tableaux historiques en deux parties distinctes. Cela ne signifie pas pour autant qu’il soit impossible de comparer en volume ou en valeur les échanges commerciaux avant et après la Première Guerre mondiale. Les frontières politiques de pays tels que la Suède, le Portugal et l’Australie n’ont pas été affectées par la catastrophe des années 1914 à 1919. Il s’agit à ce propos de rappeler que les limites territoriales de la Suisse sont demeurées pratiquement inchangées depuis bientôt deux cents ans, ce qui fait que notre pays représente, à l’échelle historique, une curiosité dont devraient se réjouir tous les statisticiens friands de séries longues.
Nous disposons pour la période de 1920 à 1992 de séries ininterrompues sur la statistique des pays. Nous n’ignorons pas que l’expansion du fascisme sous toutes ses formes et la victoire finale des Alliés sur les puissances de l’Axe ont eu des répercussions négatives sur la continuité des statistiques de la balance commerciale. Néanmoins, les révisions de frontières opérées entre 1939 et 1945 ont laissé moins de traces que celles causées par la Première Guerre mondiale. Rappelons qu’un nombre non négligeable de pays étaient confrontés avant 1939 déjà et, surtout, après 1945 à des événements qui ont eu pour effet de modifier un grand nombre de frontières, ce qui s’est bien entendu également traduit dans la statistique suisse du commerce extérieur. La grande majorité de ces changements sont liés au processus de décolonisation opéré dans le Tiers monde.
Dans nos tableaux, l’ordre des pays reflète, dans une certaine mesure, nos efforts visant à étendre la comparabilité, dans le temps, à certains territoires dont l’éclatement ou, plus rarement, la réunion ont modifié la carte politique. Pour la même raison, nous accompagnons le total général par continent de valeurs spécifiques à des espaces géographiques plus restreints (sous-continent ou groupes de pays), comme la Scandinavie, la partie occidentale de l’Amérique du Sud, la partie méridionale de l’Afrique ou l’Extrême-Orient. Nous savons que certains regroupements de pays sont contestables d’un point de vue géographique. C’est ainsi que l’Europe méridionale comporte chez nous la partie asiatique de la Turquie, mais pas l’Italie, qui apparaît sous la rubrique «pays voisins» avec la France, l’Allemagne et l’Autriche. La statistique suisse du commerce extérieur ayant considéré ensemble la Finlande et les pays baltes au début de l’entre-deux-guerres, et les Iles Féroé et le Groenland ayant jusqu’il y a peu appartenu au Danemark, nous avons élargi l’espace scandinave. Nous considérons le Mexique comme appartenant au sous-continent de l’Amérique centrale, ce qui avait généralement été déjà le cas au 19e siècle, mais ce qui a changé dès 1906 aux yeux de l’Administration fédérale des douanes. L’Afrique portugaise réunit l’ensemble des possessions du Portugal sur le continent noir, Iles du Cap Vert comprises (mais à l’exception de celles des Açores et de Madère), qui ont présenté pendant longtemps une unité politique, mais pas géographique. Et voici un dernier exemple: on peut douter de l’appartenance de l’Afghanistan au Proche-Orient, mais puisque ce pays a figuré jusqu’en 1933 dans la statistique suisse du commerce extérieur avec le Koweït, l’Irak et l’Iran, nous avons décidé de ne pas l’intégrer dans le groupe des pays du «Moyen-Orient».
Statistique des marchandises selon les principaux pays d’origine et de destination, pour quelques années choisies
La dernière partie de ce chapitre traite de l’évolution des échanges de marchandises selon les pays. Nous nous sommes fondés sur trois sources différentes afin de déterminer, pour certaines années, les principaux pays d’origine et de destination de toute une série de biens: les ouvrages originaux de la statistique du commerce extérieur concernant les années 1892 à 1987 (ils constituent une source à double titre, puisqu’ils contiennent jusqu’en 1938, outre les détails des principaux agrégats de marchandises, des informations sur les principaux pays d’origine et de destination), les rapports annuels du Département fédéral des finances et des douanes pour les années 1938 à 1992 et, enfin, les éditions 1930 à 1958 de l’Annuaire statistique de la Suisse. Nous avons considéré en premier lieu les marchandises qui ont joué un certain rôle dans la statistique du commerce extérieur du point de vue de leur valeur. La structure du commerce extérieur de la Suisse et, donc, celle de la nomenclature des marchandises ayant subi de profondes mutations au cours de ce siècle, il n’a été possible de déterminer la répartition des importations et des exportations tout au long de la période allant de 1892 à 1992 que pour un petit nombre de produits comprenant entre autres le café vert et le fromage. Lorsqu’il s’est agi de choisir les années et les biens pour lesquels nous allions procéder à une exploitation affinée de la statistique suisse du commerce extérieur, nous avons dû tenir compte de l’état des sources et de la charge de travail qu’une telle entreprise supposait. Cela nous a conduits à mettre l’accent dans notre statistique, ventilée selon les marchandises et selon les pays, sur la période allant de 1910 à 1959, qui est de toute manière particulièrement intéressante puisque marquée par la grande dépression et par les deux guerres mondiales.
SOURCE: «Commerce Extérieur» in Ritzmann/Siegenthaler, Statistique historique de la Suisse, Zürich: Chronos, 1996, 655-660